Axes de lecture du « Renégat » de David DIOP
Publié le 3 Janvier 2016
Le renégat
Mon frère aux dents qui brillent sous le compliment hypocrite
Mon frère aux lunettes d’or
Sur tes yeux rendus bleus par la parole du Maître
Mon pauvre frère au smoking à revers de soie
Piaillant et susurrant et plastronnant dans les salons de condescendance
Tu nous fais piéter
Le soleil de ton pays n’est plus qu’une ombre
Sur ton front serein de civiliser
Et la case de ta grande mère
Fait rougir un visage blanchi par les années d’humiliation et de mea culpa
Mais lorsque repris de mot sonore et vide
Comme la caisse qui surmonte tes épaules
Tu fouleras la terre amère et rouge d’Afrique
Ces mots angoissés rythmeront alors ta marche inquiète
Je me sens seul si seul ici …
La poésie africaine a connu un développement fulgurant en tant que moyen par lequel des poètes comme David DIOP ont tenté de refléter les préoccupations de l’africain.
1- Thème général
Le thème de ce poème est le déracinement. David DIOP y fait la satire mordante d’un déraciné.
2 - Plan
2-1- Portrait physique et moral (Vers 1 – Vers 6)
Le renégat : Une personne qui renie ses origines, sa patrie, sa religion
Mon frère : Dès le début du texte, le poète interpelle son personnage en le désignant par le terme « mon frère ». Il rappelle ainsi leur même appartenance raciale, l’africanité conçue comme une valeur sacrée.
Aux lunettes d’or : Une métaphore derrière les lunettes se cachent une autre vision du monde : fruit d’une occidentalisation.
Rendus bleus : Occidentalisation forcée
Mon frère : Troisième appelle pathétique, harcèlement pour se faire entendre.
Pauvre au smoking à revers de soie : Contraste entre adjectif « pauvre » et « smoking à revers de soie » : Pauvreté morale
Piaillant et susurrant et plastronnant : Trois métaphore ; comparant le renégat successivement à un oiseau, à une femme, à un gros dindon. Personnage ridicule. Polysyndète : emploi deux fois de la conjonction de coordination répété en l’intérieur d’un vers. Assonance en [ᾶ] et en [s]. Rythme saccadé d’où difficulté d’adaptation du renégat.
2-2- Manifestations du déracinement (Vers 7 – Vers 10)
Soleil : Symbole de la culture africaine
Soleil ≠ Ombre : Absence de repère ; ironie du poète : tourne le personnage en dérision.
Rougir : Occidentalisation, déracinement
Blanchi : il rappelle les yeux bleus
Mea culpa : Confession de la faute commise ; regret du personnage d’avoir été un nègre, rappelle les relations intimes ayant existé entre la religion et la colonisation
2-3- Les regrets (Vers 11 – Vers15)
Mais : Conjonction de coordination marque une rupture entre le passé et l’avenir
Lorsque : Marque le début des troubles intérieurs
Repris : L’auteur animalise le renégat ou le compare à un animal
Mots sonores : Ils sont ceux qu’il a prononcés dans les salons de la condescendance
Sonores et vides : Non conforme à ses réalités. Comparaison de ses mots à sa tête vide.
Fouleras : Rappelle la marche du nègre : marche inquiétante, marche hésitante
Rouge : Rappelle les douleurs de l’Afrique.
Le renégat exprime son angoisse dans le dernier vers renforcé par l’adverbe d’intensité « si » et l’allitération en « s »
3- Conclusion
Le thème de déracinement et de l’aliénation s’entrecroisent dans ce poème. Ils ont été souvent traités par les écrivains négro-africains des années 30. David DIOP ne passe pas sous silence les effets qu’ils produisent en faisant le portrait de notre africain. La densité des images et la qualité de l’émotion qu’elle suscite donne au texte une allure vive et captivante et un ton dénonciateur.